De l'amitié
Une petite tempête est venue me faire trébucher, il y a quelques jours, par mon amie d'enfance, celle des premières confidences et des bêtises d'ado. Celle dont je me suis si souvent dit que, si nous rencontrions maintenant, nous ne deviendrions pas amies. Celle que j'ai suivie envers et contre tout, malgré les divergences fondamentales de notre regard sur la vie. Celle dont le gouffre entre le discours et les actes m'agace depuis si longtemps. Celle dont je me suis toujours gardée de juger les choix, même si son bonheur (dont je me réjouis) fut au prix de terribles souffrances pour d'autres personnes que j'aime. Celle pour qui les valeurs fondamentales sont, aujourd'hui, le culte de la performance, de l'apparence, de la réussite matérielle, des choses qui me paraissent bien secondaires, même si je ne milite pas pour les ratés négligés. Elle a été plus franche que moi : elle est venue porter un jugement plus que sévère sur ce qui me touche peut-être le plus : ma façon d'être mère. Après les mots, l'incompréhension, les questions -et si elle avait raison ?-, la colère, les mots des autres qui apaisent, doucement. Et la conclusion que malgré, toute l'affection que l'on se porte, nous ne parlons pas le même langage, et que réouvrir le débat serait stérile. Mais après ?... Comment passer encore du temps ensemble, sans sentir le poids de son regard impitoyable sur moi ? Quelquechose est brisé. Et pour être honnête, je ne sais pas si je le regrette tant que ça. Cela me permettra peut-être de mettre entre nous la distance dont j'avais besoin, alors que ma lâcheté m'a empêché de le faire pendant si longtemps.
Cet évênement me donne juste envie de me réjouir de la présence de toutes les autres, les vraies, et de leur rendre hommage.
Il y a ma S. du lycée, le plus beau sourire au monde, cette humanité débordante, son réel amour des autres. Tous nos goûts "matériels" divergent à tel point que nous avons renoncé à nous faire des cadeaux... et cela nous fait rire ! Pour tout le reste, nous sommes deux âmes soeurs.
Il y a V. et A., le trio infernal des années d'études, mes premières amitiés d'adulte, "témoignant" deux par deux à chacun de nos mariages. A. la douce, si semblable à moi, comme ma soeur, dont les mots sont toujours des baumes sur mes maux. V. la faussement froide, si droite sur le chemin tortueux que la vie lui réserve, si sensible, posant des actes et des présents délicats qui font mouche là où les mots lui sont trop difficiles. Et le plaisir chaque fois renouvelé de nos retrouvailles, par deux, par trois, en famille, n'importe où et n'importe quand, dans le chagrin ou les moments de liesse, comme dans un mariage d'amitié.
Il y a C. l'entière, sans concession, qui ignore tout de la diplomatie. Elle ne connaît que le noir et le blanc, mais sa générosité est à la taille de ses emportements : sans fond. Elle donnerait un bras pour ceux qu'elle aime, et j'ai le bonheur d'en faire partie.
Il y a E. la discrète, qui a choisi de s'expatrier. Pleine d'attentions, nous souffrons souvent de la distance qui nous sépare aujourd'hui, surtout lorsque l'une de nous est dans la peine. Mais à chacune de nos retrouvailles, le même sentiment de bien-être : rien ne change.
J'espère leur être précieuse autant qu'elles me le sont. J'espère qu'il en sera toujours ainsi.
Photo : sac Melle Héloïse, La Marelle Editions