Ce petit homme
Petit nez retroussé, taches de rousseur, une grande vivacité se dégage de lui. Il a douze ans, en paraît huit au plus.
Il parle, vite, très vite, fort, tout le temps. Il est très pertinent, très futé. Pose une question et enchaîne sur dix autres sans en avoir écouté la réponse. Il occupe en permanence tout l'espace sonore, dans une sorte de panique de laisser s'installer le blanc. Au début, il est fascinant, tant d'énergie dans un si petit bonhomme ! Amusant, même. Très vite, il devient fatigant, épuisant nos oreilles et notre pensée qui demandent grâce.
Un jour, en vacances avec d'autres, il a envoyé une carte postale à sa mère. "Pour qu'elle m'aime", a-t-il dit. Parce qu'elle ne l'aime pas. Il le sait, elle le lui a dit. Elle ne lui offre que son indifférence.
Alors il gesticule, en permanence. Essaie d'occuper toute la place dès qu'il est en société. L'espace, en bougeant, en courant, en sautant, en provoquant sans cesse ses pairs, et puis il fait du bruit. Il bavasse, discutaille la moindre idée, épuise ses interlocuteurs par sa volonté impérative d'avoir le dernier mot, toujours. Ne jamais lâcher. S'il lâche, il n'existe plus. Au moins, lorsqu'on se fâche, qu'on le trouve insupportable, qu'on le supplie d'arrêter, il ne nous indiffère pas. Il préfère nous exaspérer que disparaître.
Au milieu de toute cette agitation, il observe les autres sans relâche. Sa souffrance se voit lorsqu'il repère un geste de tendresse, un moment doux qui ne lui est pas destiné. Il essaie d'en absorber un peu, se rapproche doucement, comme un petit chat sauvage, flaire ce sentiment inconnu. La mère en moi ruisselle lorsque je surprends un de ces moments-là. Que cette femme a dû souffrir, pour n'être pas capable d'aimer son enfant.
Comment grandit-on lorsque notre mère ne nous aime pas ? N'est-on pas condamné à rester un tout-petit, en quête perpétuelle de cet amour que la légende voudrait inconditionnel et sans fin ?