Les fantômes de Jardin
J'ai découvert Alexandre Jardin bien jeune. A vingt ans, j'ai adoré ses premiers romans qui parlaient d'amour absolu mais toujours plein de fantaisie, cet imaginaire débordant anti-quotidien qui refusait la mort à petit feu du sentiment amoureux. Et puis j'ai grandi. J'ai commencé à trouver ça redondant et mono-maniaque. Et puis j'ai rencontré un erzats de Zèbre, et dans la vraie vie j'ai trouvé ça beaucoup moins drôle. Alors Alexandre Jardin, j'ai fini par le fuir.
Mais voilà, ce matin, je l'ai entendu à la radio. Son nouveau livre, au sujet d'un grand-père directeur de cabinet sous Vichy (ce que toute sa famille s'est efforcée d'oublier) fait déjà enfler la polémique. Je ne l'ai pas lu, ne le lirai probablement pas. Il est certainement intéressant de se poser la question de la responsabilité.
Mais cette émotion qui l'a privé de sa voix jusqu'à l'étranglement, ce matin, elle, était bien réelle. Elle dit la difficulté de nous affranchir de ceux qui nous précèdent. De vivre notre vie sans être pollué par leurs injonctions, si pleines de bonnes intentions soient-elles. De vider nos sacs à dos des choses, bonnes ou mauvaises, qui n'appartiennent qu'à eux et que nous avons la liberté de ne pas continuer à trimballer. Cet affranchissement résulte forcément d'un chemin douloureux, jallonné de séparations et de conflits. Mais il est le prix de notre liberté.