La colère
La colère, c'est celle qui m'envahit, sournoisement, insidieusement, depuis des années, mais qui enfle et que je ne vais plus pouvoir contenir. Ce billet, j'en ai eu envie mille fois, j'aurais tourné ça à la rigolade... je n'ai plus envie de rire.
Parce que les convenances dirigent toute leur vie. On fait ce qu'il faut. Accrocher un tableau qu'on nous a offert même si on le trouve hideux. Partir en voyage tous les deux ans avec des gens qu'on n'aime pas, parce qu'on le fait depuis trente ans. Acheter cette marque de voiture, la seule valable, et ne pas comprendre que notre véhicule soit d'une autre marque. Ne pas imaginer un instant que nous n'avons pas leurs moyens, ni pour nous rendre dans CE resto chic, ni pour nous offrir CE canapé, et ne pas comprendre pourquoi nous nous contentons de cela.
Parce qu'à chaque fois qu'on leur propose une sortie, histoire de se voir en terrain neutre, leur première réponse est : "Est-ce que les chiens sont admis ?". Parce que j'ai tremblé des années de voir tomber l'un de mes enfants dans le bassin de leur jardin, et qu'une barrière y a été installée lorsque le chien est arrivé. Parce que même Elle rêverait d'avoir même une parcelle des caresses qu'Il prodigue à son chien, tellement plus obéissant que mes enfants. Parce que ce foutu clébard a fait pleurer mon fils un soir de Noël en mangeant ses Playmobils.
Parce qu'ils fondent d'admiration devant des gens parvenus, sûrs d'eux, très "comme-il-faut", et tellement bas de plafond humainement parlant. Parce que toute leur vie est basée sur des relations mondaines, superficielles, et qu'ils sont incapables d'écouter jusqu'au bout une seule phrase de leur petit-fils tellement heureux de leur raconter ses vacances.
Parce que son besoin de contrôle dépasse l'entendement, qu'Elle tente de vêtir mes enfants histoire d'être sûre que je ne fasse pas de faute de goût, parce que mes tiroirs ne sont pas rangés dans l'ordre qu'il faudrait. Parce qu'elle est persuadée qu'elle est le respect incarné, et qu'elle n'imagine pas un instant à quel point elle est intrusive et irrespectueuse de nos choix de vie -mais c'est pour notre bien.
Parce qu'il a trouvé un autre moyen qu'Elle de tenir les rênes : la résistance passive. Mettre un point d'honneur à ne jamais faire ce que l'on attendrait de lui. Parce qu'il ne sait rire qu'au dépens des autres, qu'il a le talent de LA remarque qui tue lorsqu'on est en droit d'attendre, sinon du soutien, au moins un peu de bienveillance. Parce qu'il tape du pied s'il veut monter dans le téléphérique, maintenant, tout de suite, et qu'il ne peut pas parce que sa petite fille s'est endormie. Parce que je suis la seule qu'il zappe à chaque apéro. Parce qu'il est en train de saboter par le seule force de sa connerie l'oeuvre que son fils a mis une année à accomplir. Parce qu'il a deux ans d'âge affectif, et qu'il se comporte comme le petit frère de son fils.
Parce que, bien qu'ayant vécu le pire, ils sont incapable de préserver le peu qui leur reste, par un peu d'humanité (attention, ce n'est pas un jugement, je sais que leur douleur est insondable et j'espère juste ne jamais l'éprouver). Parce qu'ils oublient dans leur souffrance que leur fils est devenu brutalement fils unique à 23 ans, et que pour lui aussi, c'est un déchirement irréparable, un combat quotidien.
Parce que depuis douze ans, je vois mon homme, mon amour, jouer au yoyo en fonction de leur état d'esprit, de leur attitude, de leurs mots. Parce que nous subissons, lui, nos enfants et moi, la noirceur de ces abîmes. Parce qu'ils ne sont pas foutus de voir que leur fils sombre, et qu'ils en sont en partie responsables. Parce que le yoyo ne remonte plus, et que je tremble que le fil ne soit rompu.